Le pragmatisme

 

les encarts de Sébastien Pesce cf Thèse

Le pragmatisme

Encadré 5 : 
Pragmatisme et relativisme… non radical

James, en prolongeant le pragmatisme dans une « théorie de la vérité », décrit une vérité située, relative à l’agent. Peirce décrit déjà des significations relatives à l’observateur. De telles considérations sur la vérité peuvent donner l’impression que « l’homme est la mesure de toute chose », et elles évoquent une forme de relativisme, dont les formes les plus repérées seraient les suivantes : la remise en cause de la possibilité pour les sujets de se comprendre, et de partager un monde commun ; le relativisme cognitif, doutant selon les cas de notre capacité à connaître ou de la vérité de ce que nous croyons connaître. Le pragmatisme est-il relativiste, ou contient-il en germe un tel discours ? La question se pose d’autant plus que le XXe  siècle connaîtra l’émergence de nombreux discours relativistes : par exemple le constructivisme radical de Glasersfield (von) (1981/1988), dans le courant de Palo Alto, le constructionisme social de Gergen (1999/2001), et un ensemble de discours sceptiques.

Deux traits essentiels du pragmatisme indiquent qu’il échappe au relativisme : d’abord, Peirce ne doute pas de notre capacité à connaître. L’observateur doit douter de ses propres croyances, et interroger leur validité, mais Peirce a une grande confiance en la capacité de l’homme à produire des connaissances et à rendre compte du réel. Second point, condition du premier, on prend acte dans les écrits pragmatiques d’une revendication claire de l’existence du « réel » : le réel, c’est ce qui ne dépend pas de nos conceptions et n’est pas influencé par elles.

Il est remarquable que les principales critiques du relativisme, aujourd’hui, développent leur analyse sur la base d’une même définition de la réalité. Ainsi dans sa critique du constructivisme radical, Pinker (2002) dénonce une confusion : confusion entre des catégories « réelles », indépendantes de notre perception, et les catégories produites par les hommes et désignant leurs institutions (l’argent ou la démocratie). Searle (2000) développe une critique similaire du relativisme : pour cela, il distingue la réalité matérielle de la réalité que nous attribuons aux institutions : la seconde « est objective, en ce sens qu’elle ne dépend pas de mon opinion ou de la vôtre, mais subjective aussi car elle n’existe que parce que nous pensons qu’elle existe. La monnaie, la propriété, le mariage, les cocktails et les maisons d’édition sont des créations sociales. Cela n’a rien à voir avec la théorie absurde que tout est socialement construit (…) ».

Ces divers éléments indiquent ainsi deux tendances complémentaires, et non pas contradictoires, de l’approche pragmatique : elle opère un tournant en élaborant une théorie de la signification (Peirce) et de la vérité (James), signification ou vérité sont relatives à l’agent et déterminées par leurs effets en termes d’action ; cependant cette relativité ne remet pas en doute notre capacité de connaître, et ne place pas l’observateur dans une perspective nominaliste ni ne prend la voie du relativisme cognitif. C’est précisément la définition donnée par Peirce de la réalité qui indique son rejet du relativisme, et plus directement encore sa critique du doute cartésien. Un siècle plus tard, Searle, s’appuyant sur une même critique du relativisme cognitif comme « résidu du cartésianisme », s’engage dans une analyse qui réaffirme la relativité de certains faits et de certaines significations à l’agent.

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